Philosopher à  Clermont-Ferrand

Si l'essentiel de sa vie s'est déroulé hors de Clermont-Ferrand, Blaise Pascal a conservé des souvenirs précis des lieux de son enfance. Il parle de "notre" ville de Clermont, et dans ses dernières volontés, en 1662, il n'oublie pas l'hôpital de la ville qui reçoit un quart des bénéfices d'exploitation des carrosses publics de Paris, qu'il a institués.

De cet attachement réel, la ville s'est fabriqué une icône, assignant à ce philosophe génial une quasi-fonction patronale. En témoignent les nombreuses rues et lycées qui portent son nom. Mais ce rayonnement ne doit pas occulter les philosophes de renom qui ont trouvé, dans le cadre universitaire local, les premiers auditoires attentifs à l'originalité de leurs pensées. Le plus célèbre d'entre eux est bien sûr Bergson* qui, entre 1883 et 1888, enseigna la philosophie aux élèves de terminale du lycée Blaise-Pascal, et fut chargé, entre 1884 et 1885, de conférences à la Faculté des Lettres. C'est au cours de cette "retraite spirituelle", que le philosophe fixa les grandes lignes de son enseignement, c'est là qu'il réunit ses premiers matériaux sur le sujet du rire, et c'est là surtout qu'il pensa et écrivit l'Essai sur les données immédiates de la conscience. Une période décisive donc, marquée par quelques anecdotes.

Ainsi, n'ayant que vingt-quatre ans lors de son arrivée à Clermont, ce jeune normalien, le jour de la rentrée, fut pris pour un élève par le surveillant général qui lui administra deux retenues de promenade, assorties d'un commentaire virulent : "esprit paresseux et nature indisciplinée" ! Parmi ses élèves, il eut Alexandre Varenne, le fondateur du journal La Montagne. Sincèrement attaché à la ville qu'il aimait arpenter, le philosophe avoue que "c'est là, parmi les puys, les volcans éteints, les paysages de vive verdure, peuplés de villages aux maisons noires, c'est là que [sa] pensée s'est recueillie, ramassée, concentrée". Il faut croire que c'est également la proximité du monde volcanique qui donna un accent inédit à la pensée de Teilhard de Chardin.

Né à Sarcenat en 1881, ce philosophe, prêtre jésuite, paléontologue et géologue de renommée mondiale, resta fidèle à sa patrie d'origine, revenant s'y ressourcer entre deux expéditions. Clermont-Ferrand figure aussi dans le carnet de voyage de Michel Foucault. C'est en effet ici, au début des années soixante, que ce brillant normalien, voyageur infatigable, remarqué par ses travaux sur la folie, effectua sa rentrée universitaire pour y donner des cours de psychologie. Si ces nombreux philosophes, auxquels s'ajoutent Michel Serres, Roger Garaudy ou encore Jean Cavaillès, doivent une grande partie de leur célébrité à leurs écrits, d'autres ont incarné leur pensée dans le combat et le sacrifice.

Dès le 23 novembre 1939, la déclaration de guerre entraîna le repli de l'université de Strasbourg sur celle de Clermont-Ferrand. Très vite, sous prétexte de fouilles, enseignants et étudiants se retrouvèrent régulièrement à Gergovie et militèrent dans différents réseaux. Mais la police allemande, inquiétée par ce noyau de résistance, d'autant que les étudiants d'Alsace étaient considérés comme déserteurs de l'armée allemande, organisa une descente le 25 novembre 1943 à l'université. Une rafle terrible qui entraîna quatre-vingt-trois personnes dont la plupart ne sont pas revenues, convaincues pourtant, à l'instar de l'historien Marc Bloch, arrêté et fusillé à Lyon en 1944, que "c'est à force d'utopies que la réalité enfin paraît".