Jean-Charles de Castelbajac

Jean-Charles de Castelbajac était en déplacement à Clermont-Ferrand pour l’inauguration du Peuple de demain à mille formes, exposition immersive et interactive qui permet aux petits et à tous ceux qui ont gardé une âme d'enfant de découvrir son univers artistique, poétique et chromatique. L’occasion de revenir sur son implication dans la candidature de la Ville au titre de Capitale européenne de la culture.

 

Bio express

 

Né le 28 novembre 1949 à Casablanca
 
Profession : Artiste et créateur de mode
 
1968 : création de sa première ligne de prêt-à-porter féminin pour Ko and Co, l’entreprise de sa mère à Limoges.
 
1974 : Rencontre Vivienne Westwood et Malcolm McLaren dans leur boutique à Londres
 
1978 : crée sa propre marque : « Jean-Charles de Castelbajac »
 
1986 : expose au Fashion Institute of Technology de New-York.
 
1993 : produit deux collections avec André Courrèges
 
2006 : expose au Victoria and Albert Museum de Londres
 
2007 : expose au Musée Galliera à Paris
 
2009 : The triumph of the signs exposition à la galerie Paradise Row à Londres
 
2015 : création d’une fresque monumentale pour l’aéroport d’Orly Sud
 
2018 : création d’une œuvre monumentale pour la Biennale au Grand palais.
 
A collaboré au cours de carrière avec : Robert Mapplethorpe, Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Ben et Robert Combas, Annette Messager, Bettina Rheims, Cindy Sherman, Woody Allen, Kraftwerk, Jean-Paul II, Farrah Fawcett, Vanessa Paradis, Alizée, Beyoncé, Lady Gaga.
 
Musicien préféré : Lazy Eyes, psychédélique australien
 
Espace artistique préféré : le Poush, incubateur de jeunes talents qui catalyse la mouvance digitale à Aubervilliers
 
Écrivain préféré : Edogawa Ranpo, auteur du fantastique La Chambre rouge
 
Film cinéaste préféré : Peter Kubelka, auteur de Our Trip to Africa, un court métrage expérimental apocalyptique et radicalement anticolonialiste

 

C’est votre première expo réalisée spécialement pour les enfants ?

JC de Castelbajac : Oui, mais à la fois, c’est la cristallisation d’une longue quête sur l’enfance. J’ai eu une enfance en pension, très loin de l’affection de mes parents, très loin de ce que j’imaginais être une enfance. En fait, la quête de ma vie, était de devenir l’architecte de ma propre enfance.

Vous avez pu bénéficier de la longue expérience du Centre Pompidou en matière d’exposition pour les enfants ?

JC de Castelbajac : Oui, l’équipe extraordinaire du Centre Pompidou s’est mise au service de la vision, très claire, que j’avais en tête pour le Peuple de demain. Elle est née durant le temps de gestation de pandémie. Je voulais un château fort, je voulais un camp, je voulais un porte-avion de tous les arts où convergent toutes les disciplines : la musique, le dessin, la danse, le chant, le digital.

Comme si je pouvais distribuer aux enfants les armes pour leur futur. Ce que j’aime dans mon métier d’artiste, c’est cette rencontre avec les autres, c’est travailler en équipe, c’est voir une idée se transformer en un discours collectif.

Dans cette expo, on voit des formes simples, presque des logos, des symboles, des cœurs, le tout pour un message optimiste...

JC de Castelbajac : Effectivement, tout mon travail vient de l’héraldisme, de choses extrêmement simples, de codes multiculturels que tout le monde peut s’approprier ou réinterpréter. Le message est résolument optimiste mais porte aussi une réflexion plus profonde sur comment faire face à un monde en totale dystopie comme le nôtre ! Comment contre-attaquer ? Comment faire d’autres propositions ? Comment ne plus subir le joug de la fatalité ? Pour cela, il y a ma gamme de couleurs, les primaires qui sont aussi les couleurs de l’arc-en-ciel, de mille belles choses sur cette terre. J’essaie de parler un langage universel. Je me suis aperçu quand j’étais enfant qu’on ne nous écoutait pas. On n’avait pas le droit de parler. Il y avait déjà quelque chose d’autistique dans ma génération. Pour les enfants d’aujourd’hui, on a souvent substitué la parole par un intermédiaire digital. Je vois que beaucoup de parents, plutôt que de parler à leur enfant, donnent un Iphone ou un Ipad pour les occuper. Donc, on est toujours dans une forme déguisée de non-dialogue entre l’adulte et l’enfant. À Paris, cette expo a été un gros succès de l’année avec 145 000 visiteurs. On a travaillé avec beaucoup d’écoles de banlieues défavorisées, au contact d’enfants à qui on n’avait donné qu’un ballon de foot pour s’exprimer ! On s’aperçoit que l’art n’est pas seulement un baume réparateur, un mastic pour combler les fêlures, mais vraiment une pierre angulaire de la construction d’un être humain.

Cette expo de Pompidou a-t-elle été adaptée pour le public de mille formes, c’est-à-dire les 0/6 ans ?

JC de Castelbajac : Oui tout à fait, nous l’avons repensé pour cette tranche d’âge, notamment au niveau digital. Pour le reste, très peu mais cela fonctionne bien. Je peux le constater au quotidien auprès de ma fille Eugénie qui a deux ans et demi. Pour elle, le dessin est une chose aussi importante que le goûter ou le petit-déjeuner ! Très tôt, de bébé à 4 ou 5 ans, l’être prépare sa cuirasse. Pourra-t-il ensuite en changer comme le homard fait sa mue ? Va-t-il rester tout le temps dans cette cuirasse défensive ou va-t-il s’ouvrir au monde ? Tout ça se construit dans la prime-enfance. C’est pour ça que j’aime mille formes avec toute sa dimension pédagogique.

Qu’est-ce qu’on pourrait dire aux parents pour qu’ils viennent visiter cette expo en famille ?

JC de Castelbajac : Déjà qu’ils vont vivre une expérience immersive et de partage. Au Centre Pompidou, on me disait : « en général, quand les adultes viennent avec leurs enfants, ils servent de porte-manteaux ! » Là, c’est différent. Tout le monde est assis par terre, tout le monde joue, tout le monde partage. La musique composée par Julien Granel sur le « synthémo » - synthé des émotions qu’on a mis huit mois à mettre au point ! - ça parle aux enfants, aux ados et aux adultes. La marelle musicale, c’est pareil ; c’est une madeleine de Proust pour tous les adultes. Je suis né dans un monde totalement cloisonné, mais il ne l’est plus aujourd’hui. Je suis heureux d’avoir été un créateur qui a participé à l’implosion des murs qui séparaient les disciplines, les conditions sociales, les âges et les clans. C’est l’idée du vivre ensemble. Comment avancer face à un monde assez fermé, difficile, assez pessimiste et sombre ? Comment peut-on devenir ce peuple de demain ? Ce peuple de couleurs ? C’est à nos enfants que nous devrons rendre des comptes. C’est eux qui diront « mais mon père ne s’est pas assez occupé de la pollution ». Comment peut-on repenser le monde au-jourd’hui ? Je pense que le ciment de tout ça, c’est l’art. L’art permet de se poser les questions de la meilleure manière qui soit.

Avant cette exposition, vous vous êtes impliqué avec l’association Clermont-Ferrand Massif central 2028 dans la création du logo de la Capitale européenne de la culture. C’était votre première aventure à Clermont-Ferrand ?

JC de Castelbajac : En fait non, ma première collaboration artistique à Clermont a eu lieu il y a quelques années, lors d’une Fête de la musique avec Mr Nô. Une performance durant laquelle je dessinais sur un écran avec la musique electro de Mr Nô. Quant à la création du logo, elle est encore liée au Centre Pompidou. Mon ami Patrice Chazottes [actuel directeur de CFMC 2028], fut à l’origine de l’exposition Le Peuple de demain lorsqu’il était au Centre Pompidou. Il m’a appelé pour me demander de le rejoindre à Clermont dans cette aventure de Capitale européenne de la Culture. J’ai accepté car j’ai passé une partie de mon enfance dans le Limousin… quand je n’étais pas en pension ! C’est différent de Clermont-Ferrand mais il y a des points communs à ces villes du centre de la France : une forme d’isolement, mais à la fois une terre extrêmement vivante, minérale, viscérale même ! C’est la raison pour laquelle je suis parti sur l’idée d’un jaillissement volcanique pour le logo, emblématique de l’énergie que j’ai ressentie auprès des jeunes générations, des choses en devenir. Ma collaboration avec CFMC 2028 se poursuit actuellement avec la réalisation de la couverture du dossier de candidature de la Ville de Clermont qui va être présenté en janvier 2023 au comité européen.

Comment avez-vous pu garder cette flamme après avoir été au cœur du mouvement punk avec Malcom McLaren ? Qu’est-ce qui vous fait encore courir après tant d’années et ravive votre énergie créatrice ?

JC de Castelbajac : L’humain, les rencontres, les aventures artistiques. C’est la vie, c’est la beauté, c’est aussi ma quête personnelle. Dans le passé, on disait de moi que j’étais un touche-à-tout. Mais tout me touche ! Tout est lié par ma palette de couleurs - qui est toujours la même. Si on mettait bout à bout mes cinquante ans de carrière, on s’apercevrait que c’est très cohérent : des vêtements du pape Jean-Paul II en arc-en-ciel, au manteau de Lady Gaga composé de peluches Kermit ! Tout est lié par cette préoccupation de m’inscrire dans un travail collectif qui va vers l’humain.

C’est vrai, il y a eu un moment de mélancolie après l’enthousiasmant mouvement punk, après avoir perdu tous mes amis : Robert Malaval, Keith Haring, Robert Mapplethorpe… Quand vous faites partie d’un groupe aussi soudé - on adorait dialoguer et travailler ensemble - vous vous sentez habité par vos souvenirs. Je ne suis pourtant pas un homme tourné vers le passé. Et j’aime toujours autant découvrir et travailler avec de jeunes artistes, que ma notoriété puisse profiter à l’émergence des révélations de demain.