Célébrités de la rue

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Victor le violoneux, dans " Clermont à la Belle époque ", d’Aymé Coulaudon.
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Jean Serpent. En juin 1895, au retour d’une chasse fructueuse, le célèbre chasseur de serpents tomba du tramway. Les bocaux se brisèrent sur la chaussée, libérant les reptiles et provoquant la panique qu’on peut imaginer. Un mois plus tard, il accepta, moyennant finances, de traverser sur un fil la place de Jaude, juché sur les épaules du funambule Djelmako, mais il jura qu’on ne l’y reprendrait plus. Carte postale, collection Louis Saugues.

Jean Serpent, c’est l’homme qui avait déclaré une guerre sans merci aux reptiles. Chaque matin, il partait le pantalon enfoncé dans les bottes, souvent trop grandes, les poches de son veston remplie de fioles. Dans la campagne environnante, il scrutait pierres et broussailles et, à l’aide d’un bâton fourchu ou de ses mains nues, clouait son gibier au sol, lui arrachait les dents et l’enfermait dans un bocal. Un métier difficile qui lui rapportait des primes du Conseil général, lui valut de nombreuses morsures et autant de séjours à l’Hôtel-Dieu.

J. de Champeix en a tracé un portrait attachant dans le " Moniteur du Puy-de-Dôme " du 26 septembre 1897 : " Sur le torse d’un nain qui a légèrement grandi, torse que semblent supporter à grand peine des jambes grêles, la tête est crânement posée, intelligente. Et dans la face glabre, vieillotte, avec ses tons d’ivoire jauni, les lèvres minces et pâles découvrent en leur retroussis les dents blanches et pointues d’un fauve tandis que l’œil gris-noir, très vif, à l’éclat singulier, brille de façon étrange et que le regard inquiet, inquisiteur, fouille toujours à droite, à gauche, devant lui." Ohé, Victor ! Chaque matin, les gamins escortaient Victor le violoneux. Sanglé dans sa redingote usée , son violon sous le bras, il déposait son bouquet quotidien au pied de la statue de Desaix, le héros de Marengo. Le rite accompli, l’artiste ambulant circulait ensuite dans les bars, tendant une soucoupe à la libéralité des consommateurs et à son tour consommait... beaucoup, pour oublier, disait-il, les deux femmes successives de sa vie et ses amours malheureuses. Son violon se faisait alors plus grinçant.

 Avec Jean la Flûte, c’était autre chose ! Sous les doigts de l’habile musicien doublé d’un chanteur aux qualités plus contestables, des sons harmonieux emplissaient la rue. Son métier ? Vendeur de journaux. L’aubade ? Il voulait seulement prévenir sa clientèle de son passage, pas mendier. " Un type dans toute l’acception du mot, cet homme aux pantalons toujours trop longs s’effilochant sur des souliers plats et découverts, à l’ample lévite qui lui donne un vague air d’ensoutané, aux yeux sans expression sous les paupières baissées, au regard éteint qui ne fixe jamais en face, à la barbe inculte d’apôtre que souillent les grains de tabac " (2). Il y avait aussi le père Alexandre, " un petit vieux à la tête de grognard du premier Empire ", la poitrine constellée de jetons, médailles et rubans (2) ; la Marguerite-en-voiture, une pauvre femme qui vivait de ses souvenirs de jeunesse au bras de " l’Adoré " et disait à qui voulait l’entendre : " J’en ai eu des voitures, j’en aurai. En voiture, j’irai en voiture ! " ; la Beauté de Fontgiève ; Aglaé, la marchande de fleurs de la Montée de Jaude, Gabriel le Sorcier et bien d’autres aujourd’hui oubliés, familiers des Clermontois de cette époque.
Les singularités de ces personnages n’ont pas échappé aux chroniqueurs qui en ont tracé des portraits savoureux tant dans " Le petit Rose " que dans " Le Moniteur du Puy-de-Dôme " (2).