"Les Russes" de Theix

Edifiés pendant la Seconde guerre mondiale, ces pavillons ont d'abord accueilli l'école des cadres des chantiers de jeunesse, puis, à  partir de décembre 1944, ceux qui ont été improprement appelés "les Russes". Improprement, parce que ces hommes et ces femmes - plusieurs centaines d'après les témoignages - venaient d'Ukraine, de Géorgie, d'Azerbaïdjan, rarement de l'ancienne Russie, et, de toute façon, avaient à  cette époque la qualification de citoyens soviétiques.
Soldats de l'armée de l'URSS, ils avaient combattu sur le front de l'est contre l'armée allemande, avaient été capturés, emprisonnés en Allemagne. Maltraités, mal nourris, vivant dans des conditions sanitaires effrayantes, ils mourraient en grand nombre et n'avaient aucune chance de survie dans ces camps spéciaux. Pour échapper à  une mort certaine, certains ont accepté de devenir les supplétifs de l'armée allemande en échange de nourriture, de vêtements, d'une promesse d'indépendance pour leur nation passée sous le joug communiste. Ils ont formé les unités d'auxiliaires de l'est, les Ostwillige, nombreuses en Auvergne aux côtés de l'armée d'occupation, qui les utilisait tout en s'en méfiant. Car rien n'est simple. Si ces soldats ont commis des actes contre les maquis, d'autres ont rejoint volontairement le camp des Résistants et combattu à  leurs côtés. Août, septembre, octobre 1944 : c'est la déroute pour l'armée d'occupation qui fuit, laissant derrière elle ses "Russes". Une situation embarrassante pour les Français, car il s'agit de ressortissants d'une puissance étrangère alliée. Les Américains les regroupent.
En Auvergne, plusieurs centres d'hébergement leur sont ouverts, dont celui de Theix, qui accueille plusieurs centaines de ces soldats perdus, souvent avec femmes et enfants. Ils y vivent librement. D'après Eugène Martre, les archives attestent (2) que ces habiles discoureurs, amateurs de fêtes, d'alcools forts, d'or ont souvent eu maille à  partir avec la population autochtone. Robert Broquet, qui habitait à  Theix, se souvient d'eux : "Les Américains les ravitaillaient, les habillaient, ils revendaient tout pour acheter de l'alcool". La population ne tarde pas à  se plaindre auprès du préfet, qui alerte les autorités militaires et le ministère, qui à  son tour informe le gouvernement soviétique. Il dépêche à  Clermont-Ferrand des officiers chargés de rapatrier leurs turbulents ressortissants. Impossible de traverser l'Allemagne. Il fallait donc traverser par la Méditerranée et affréter un bateau au départ de Marseille. Pas simple dans cette époque chamboulée ! Finalement, la plupart des "Russes" ont rejoint leur pays d'origine. Quelques uns sont restés, ont fondé une famille, trouvé du travail et se sont intégrés dans la société auvergnate.