Le procès de 1941 : Pierre Mendès France forcément coupable...

Pierre Mendès France, revêtu de son uniforme de lieutenant de l'armée de l'air, tendu, très pâle, amaigri (il a perdu quinze kilos en six mois de détention), pénètre dans la salle du tribunal militaire de Clermont-Ferrand. L'audience est publique mais "pour éviter tout incident", on ne peut y assister que sur invitation : l'accusation a reçu trois cents cartes, la défense six… Voici les faits tels qu'ils n'ont sans doute pas été rappelés…

En 1939, Pierre Mendès France a trente-deux ans. Ancien sous-secrétaire d'Etat du gouvernement Blum, député-maire de Louviers, conseiller général de l'Eure, porte-parole de l'aile gauche du parti radical, il est bien décidé à se battre contre Hitler. Lieutenant de réserve, alors que son mandat de député lui permettrait d'obtenir un poste sans risque, il est nommé dans l'aviation au Levant et réclame une affectation au front. Le 19 juin, avec une centaine de parlementaires, il s'embarque sur le Massilia en partance pour l'Afrique du Nord. Le gouvernement comptait s'y installer mais, en cours de route, il y a contrordre. Mendès refuse de rentrer et préfère rejoindre son unité au Maroc. À l'un de ses chefs qui lui demande s'il ne compte pas rejoindre Vichy pour participer à la session de l'assemblée nationale, il répond : "En attendant de retrouver un régime démocratique, la France sera gouvernée par des gens choisis directement ou indirectement par l'ennemi. Je ne participerai pas à la comédie qui va se jouer à Vichy".*

Le 31 août 1940, il est conduit à la prison militaire de Casablanca. Le motif tel qu'on peut alors le lire dans certains journaux : "arrestation du député juif Mendès France qui a déserté pendant la campagne de France". Transféré le 12 octobre 1940, à la prison militaire de Clermont-Ferrand, il rejoint son ami et député, comme lui, Jean Zay, déjà condamné. L'instruction menée par le colonel Leprêtre, l'homme sur lequel Vichy compte pour le faire condamner, traîne de nombreux mois. Des témoins essentiels qui pourraient disculper l'accusé ne sont pas convoqués : le but est bien d'assurer, coûte que coûte, une condamnation. Lucie et Edgar Faure, repliés dans la région, rendent de fréquentes visites à Mendès France et lui sont d'un précieux réconfort. 9 mai 1941, jour du procès. Ses chefs témoignent clairement en sa faveur. Ses avocats défendent une cause apparemment évidente : quel drôle de déserteur, en effet, qui n'a cessé à l'heure du combat, de vouloir se battre ! Et quelle justice que celle conduite par la hargne politique et le racisme ?

Mais la tâche est impossible : le tribunal et l'accusation se désintéressent ostensiblement de leurs propos. Mendès France est condamné à six ans de prison ferme, avec perte de son grade et dix ans de privation des droits civils, civiques et familiaux. Après le rejet de son pourvoi en cassation, Pierre Mendès France ne songe plus qu'à une seule chose : s'évader. Transféré depuis le 13 mai pour insuffisance hépatique, à La Providence, annexe de l'hôpital militaire de Clermont-Ferrand transformée en hôpital-prison, il s'échappe, le 21 juin, par la fenêtre donnant sur l'avenue Albert et Elisabeth, dont il a scié les barreaux, et prend le train. Après plusieurs mois de traque à travers la France, il rejoint le général de Gaulle à Londres, en février 1942.